Qu’est-ce que le Métavers ? Quelle différence avec le Web3 et le Web 3.0 ? Il y a-t-il un seul ou plusieurs Métavers ? Premier article d’une série qui cherche à proposer une définition du Métavers et à contextualiser le concept, au-delà des fantasmes, pour revenir sur la réalité concrète d’un phénomène qui interroge.
En résumé :
- Le Métavers est un réseau d’espaces virtuels interconnectés, interopérables, immersifs et persistants ;
- Le Web3 est un mouvement qui œuvre pour la décentralisation d’Internet au travers de la blockchain ;
- Le Web 3.0 est une notion fourre-tout changeante, plus floue, qu’on peut comprendre comme la spatialisation d’Internet avec le passage de la 2D à la 3D ;
- Il n’y a qu’un seul Métavers.
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Métavers : origine du concept
Le concept de Métavers trouve son origine dans un roman de Neal Stephenson, Snow Crash (Le Samouraï Virtuel en français), qui décrivait en 1992 un monde virtuel global, sorte de successeur d’Internet, accessible en VR. Chaque utilisateur y incarne l’avatar de son choix et peut s’y connecter à tout moment, ce qui en fait une sorte de monde parallèle virtuel, échappatoire bienvenu dans une réalité anxiogène. Car le Métavers est à l’origine, comme de nombreux concepts de la tech, une dystopie.
La définition du Métavers de Stephenson se résume par :
- Un seul monde virtuel partagé par tous, toujours en ligne, toujours accessible ;
- Une expérience immersive en VR ;
- Une économie et un écosystème connectés au monde réel (les actions dans le Métavers ont une importance et un poids dans la réalité et vice versa) ;
- Une dystopie.
Bien entendu, Snow Crash est une fiction. On ne devrait pas s’attendre à ce que cette définition du Métavers soit celle qui nous intéresse. Il s’agit plutôt d’un point de départ qui doit être transposé, adapté à la réalité : il est par exemple très peu probable qu’il n’y ait qu’un seul monde virtuel, ou que tout le monde y accède uniquement en VR.
Définition du Métavers
Si on transpose le concept de Métavers dans la réalité de 2022, on peut commencer par dégager l’essence de ce qu’est un Métavers sur un plan général, tel qu’il puisse réellement exister :
- Un espace virtuel partagé, unique, persistant ;
- Immersif, basé sur la XR plus largement ;
- Doté d’une économie virtuelle en lien avec la société et par conséquent investie par le monde du travail, du commerce, de l’industrie.
Nous pouvons ainsi définir le Métavers comme un réseau d’espaces virtuels interconnectés, interopérables, immersifs et persistants.
- Un réseau car un seul monde virtuel est un cas de figure irréaliste ;
- Des espaces virtuels (et non des mondes) qui vont du plus complexe (jeux en ligne, Fortnite, Roblox, Second Life) au plus simple (la visualisation d’une chaussure en 3D sur une page web) ;
- Interconnectés de manière plus ou moins étroite, permettant a minima de passer d’un espace à l’autre de manière fluide ;
- Interopérables car faisant usage de standards 3D qui restent à définir et permettraient de transférer des avatars ou objets d’un espace à un autre ;
- Immersifs (ou plutôt qui tendent à l’immersion), soit via l’AR en s’intégrant sans accrocs dans la réalité, soit au travers de dispositifs d’immersion comme la VR.
- Persistants car toujours accessibles, toujours en ligne, à la manière d’une page web.
Une autre définition du Métavers, plus simple, en fait une version immersive d’Internet, spatialisée, avec laquelle nous pourrons interagir de manière plus naturelle et dont les contenus 2D, images et vidéos seront remplacés par des objets 3D que nous pourrons manipuler, animer, enrichir à notre guise. Cette évolution va reposer en grande partie sur les moteurs temps réel (Unreal Engine et Unity dans la majorité des cas) et une myriade d’acteurs, déjà actifs dans le jeu vidéo ou la 3D, dont les dernières expériences laissent entrevoir ce que pourrait être le Métavers de demain.
En faisant le lien avec ce qui existe déjà (Internet, la XR, le jeu vidéo et autres expériences en ligne), on peut tenter de dépasser le Métavers comme concept calqué sur la SF et l’adapter plus subtilement à notre réalité. Plutôt qu’un seul monde virtuel, un réseau d’espaces virtuels ; plutôt qu’une expérience strictement VR, une tendance à l’immersion qui se décline en XR plus largement et cohabite avec l’expérience “plate” du navigateur web. Et plutôt qu’une jungle virtuelle où tout serait mélangé, un cloisonnement plus ou moins poreux entre les différents espaces, lieux de travail, de loisir ou de sociabilité. Puisque ces différents cercles sont soumis à des règles et des attentes différentes, il semble improbable de les connecter sans restriction aucune.
Ne prenez pas cette définition comme argent comptant. Jetez plutôt un œil à ce qu’en disent quelques grands noms du secteur :
Rule #1. There is only one Metaverse.
Tony Parisi, Unity Head of XR Ads and E-Commerce & pionnier de la VR
Rule #2: The Metaverse is for everyone.
Rule #3: Nobody controls the Metaverse.
Rule #4: The Metaverse is open.
Rule #5: The Metaverse is hardware-independent.
Rule #6: The Metaverse is a Network.
Rule #7: The Metaverse is the Internet.
The Metaverse is a massively scaled and interoperable network of real-time rendered 3D virtual worlds which can be experienced synchronously and persistently by an effectively unlimited number of users with an individual sense of presence, and with continuity of data, such as identity, history, entitlements, objects, communications, and payments.
Matthew Ball, VC et CEO à Epyllion
I would define the metaverse as a shared, persistent, real-time and social online space that has its own economy and feels like you’re inside an immersive and interconnected world. And it’s not just one world, it’s a whole collection of them.
Dean Takahashi, journaliste et Lead Writer chez Venturebeat
Qu’est-ce que le Web3 ?
Bien que le concept de Web3 (sans le “.0”) soit lié à celui du Métavers, c’est un concept indépendant qui est souvent confondu – sciemment ou non – avec celui du Métavers.
Le Web3 est un mouvement qui prône une version décentralisée d’Internet, basée sur la blockchain, les cryptomonnaies et les smart contracts (NFT et consorts). Le Web3 comme concept ne contient rien qui concerne intrinsèquement la 3D, ou la VR, ni même la XR ; c’est un espace qui a en effet émergé avec les cryptos (Bitcoin en tête) comme objet de spéculation ou comme outil financier. C’est aussi un mouvement, donc, au sens où il porte une part de militantisme, d’idéologie, de volonté “bottom up” incarnée par une communauté large et active (la plupart du temps grassroots, parfois victime d’astroturfing). Cette différence n’est pas mince, puisque le Métavers est porté par les géants de la tech tandis que les acteurs du Web3 sont plus petits, plus agiles, plus volatiles aussi. C’est un écosystème nouveau et bouillonnant pour les uns, une jungle pour les autres.
Le terme “Web3” fait référence à une itération du Web : ce serait une nouvelle version, une évolution d’Internet, en passant d’un écosystème centralisé constitué d’espaces captifs et de bases de données privées (Facebook, Google, Amazon…) à un système décentralisé où les transactions et la propriété sont gérés par la blockchain – et donc par le code – selon une philosophie “code is law” (le code fait la loi).
Le Web3 existe donc indépendamment du Métavers : on peut tout à fait imaginer des applications financières, légales, organisationnelles sans lien avec la 3D, la XR ou n’importe quel autre composant du Métavers – applications qui d’ailleurs étaient majoritaires jusqu’au récent “boom” Meta. La crypto elle-même est un outil financier, et même l’explosion des NFT s’est d’abord traduite par l’échange d’œuvres sous format 2D. Les projets NFT les plus connus, du Bored Ape Yacht Club aux Cryptopunks, sont d’abord basés sur des images, avant de devenir des projets plus ambitieux qui intègrent une composante “Métavers” dans leur plan de route.
Le lien avec le Métavers se fait avec l’émergence d’une économie virtuelle et surtout avec l’usage des NFT qui permettraient d’établir un acte de propriété virtuel, bien que la réalité soit un peu plus complexe que ça. L’idée est que la blockchain serait la colonne vertébrale d’une nouvelle économie virtuelle décentralisée où les utilisateurs sont propriétaires de leurs avatars et objets, qu’ils pourraient vendre, acheter ou transférer indépendamment des plateformes. Le Web3 est ainsi érigé comme un des piliers du Métavers en étant la source du principe de propriété et de rareté dans un réseau d’espaces virtuels immersifs.
Le Web3 représente aussi un mouvement plus large qui cherche à révolutionner des aspects plus généraux de la société et des organisations, toujours selon le principe de décentralisation. La communauté développe des systèmes financiers alternatifs, de nouveaux modes de gouvernance (DAO), travaille sur le stockage de données, la certification, la cryptographie… le stockage décentralisé de données est d’ailleurs un élément intéressant pour l’avenir du Web, quel qu’il soit. Bref, le Web3 est un concept voisin mais différent, quelle que soit la définition exacte du Métavers. L’usage imprécis de ces termes ne fait que renforcer la confusion ambiante en participant à mélanger “tout ce qui se passe” sous des étiquettes interchangeables qui sont vidées de leur sens.
Qu’est-ce que le Web 3.0 ?
De nombreux commentateurs utilisent les termes “Web3” et “Web 3.0” comme synonymes, ce qui pose plusieurs problèmes. Soyons précis.
Le Web 3.0 est un mot fourre-tout qui représente l’évolution du Web 2.0. Seulement, les avis divergent sur ce que cette évolution représente : le monde de la crypto met en avant la décentralisation, le monde de la XR parle plutôt de spatialisation, Tim Berners-Lee le définissait comme “web sémantique”, chacun y voit un peu ce qu’il veut… ou ce qui l’arrange.
Pour comprendre la différence, il est plus intéressant de partir du passage du Web 1.0 au Web 2.0 ou “web participatif”, un nouveau paradigme centré sur la simplicité d’usage et la participation des utilisateurs au contenu, sur un mode interactif. Le Web 2.0, c’est l’avènement des wikis et des réseaux sociaux. Il y a deux choses importantes à retenir :
- Le Web 2.0 était une évolution, et non une révolution, sur un plan largement formel et utilitaire ;
- Le Web 2.0 était une notion plutôt consensuelle, puisque très peu chargée idéologiquement parlant.
C’est là que le bât blesse : le Web3 comme émergence d’une économie virtuelle basée sur la blockchain, est :
- Une révolution qui cherche à modifier profondément le fonctionnement d’Internet voire de la société toute entière ;
- Un mouvement très controversé, teinté d’anarcho-capitalisme et libertarianisme pour les uns, techniquement fumeux pour d’autres… Il y a pléthore d’articles, d’essais, de commentaires entièrement dédiés au Web3 bashing. Beaucoup d’acteurs traditionnels sont pour le moins mal à l’aise lorsqu’il s’agit de blockchain, soit par scepticisme soit par peur des réactions du public.
Sans même prendre parti, on peut tout de même constater que le caractère controversé et révolutionnaire du Web3 en fait un phénomène assez différent du Web 2.0.
Mais alors, qu’est-ce que le Web 3.0 ? Le plus probable et le plus logique est d’y voir un phénomène de spatialisation : le Web 3.0 est tout simplement la spatialisation d’Internet, c’est à dire la fusion entre le physique et le digital, au travers notamment du passage d’Internet à la 3D, contrairement au Web 2.0 qui est essentiellement fait d’images et vidéos.
Le Web 3.0 comme Internet spatialisé est un concept un peu plus simple que les deux précédents, davantage lié à la forme et à la convergence de plusieurs technologies ainsi qu’aux capacités accrues en termes de calcul et de bande passante. Or on pourrait critiquer le Métavers comme étant un coup de peinture sur ce concept plus ancien, pour le rendre à la fois plus sexy et plus flou ; reste-t-il que certains aspects du Web spatial sont tout aussi vagues ou encore loin d’être réalisés, comme la fusion du digital et du physique. Dans l’état actuel des choses, le concept de “Web 3.0”, resté flou, serait plutôt à éviter, à moins de ne vouloir créer encore plus de confusion.
Un seul ou plusieurs Métavers ?
Il s’est dernièrement répandu une sorte d’abus de langage qui consiste à parler du Métavers au pluriel. Pourtant, le Métavers est non seulement un monde unique dans le concept d’origine, c’est aussi un phénomène nouveau – sinon, quel intérêt ?
On peut donc distinguer deux définitions : la définition “discount” de Métavers au pluriel, et la définition d’un Métavers au singulier.
Définir les Métavers au pluriel ?
La définition du Métavers “discount” (ou “Canada Dry” comme j’ai pu le lire ailleurs) est celle d’un monde virtuel, comme un jeu vidéo en ligne – et, logiquement, il y aurait plusieurs Métavers puisqu’il y a plusieurs mondes virtuels : le Métavers Fortnite, le Métavers Roblox, le Métavers Meta, le Métavers Decentraland… Voilà qui revient à parler des “Internets” au pluriel : l’Internet YouTube, l’Internet Wikipédia, l’Internet Facebook et ainsi de suite.
Les mondes virtuels en ligne existent depuis les années 90, Second Life par exemple est apparu en 2003. Si “un Métavers” est simplement un monde virtuel, alors nous brassons en effet du vent, puisqu’il n’y a pratiquement aucune innovation. Si l’on suit cette définition, la seule vraie nouveauté est que le monde corporate découvre le concept du jeu vidéo en ligne en 2022. Il est donc compréhensible que l’industrie du jeu vidéo considère parfois le Métavers avec dédain : tout ce bruit et tous ces investissements pour quelque chose qui existe depuis près de 30 ans !
Un seul Métavers
La définition du Métavers au singulier est un concept beaucoup plus intéressant : un seul réseau interconnecté, interopérable, immersif et persistant, un concept radicalement nouveau qui n’existe pas encore et qui bouleverserait notre manière de vivre en ligne. C’est là que réside le potentiel d’une nouvelle économie virtuelle, de nouvelles manières de travailler, de communiquer et d’interagir.
Et c’est une vision d’autant plus intéressante que c’est un projet où convergent plusieurs industries, du jeu vidéo à la mode en passant par le monde de l’art, où tout reste à inventer et où l’on doit encore résoudre des problèmes fascinants, qu’ils s’agisse de verrous techniques ou bien de blocages culturels. C’est parce que le Métavers n’existe pas qu’il est fascinant – si le concept se limitait à ce qu’on peut voir aujourd’hui, il faudrait se dire : “tout ça pour ça ?”.
Le Métavers n’existe pas (encore)
Le plus important à retenir de tout ceci est que le Métavers est un projet, une évolution à venir, mais qu’il n’existe pas encore.
D’une certaine manière, nous rencontrons aujourd’hui les mêmes problèmes qu’avant pour créer des espaces virtuels interconnectés et interopérables. Nous avons toujours les mêmes limitations en termes de puissance de calcul ou de bande passante, qui rendent pour l’instant impossible sa réalisation ; n’importe quel développeur de jeu vous dira que la gestion de l’expérience en ligne est un vrai casse-tête, même en étant limitée à quelques dizaines d’utilisateurs en simultané. Comment imaginer un Métavers où seulement quelques dizaines de personnes peuvent se trouver simultanément au même endroit ?
De la même manière, l’interopérabilité est aujourd’hui un vœu pieu. En réalité, passer un objet 3D d’un espace à un autre relève de l’exploit ou du cauchemar, c’est selon. Contrairement à une image ou une vidéo, un asset 3D est un assemblage de plusieurs éléments différents : plusieurs géométries, plusieurs textures, un squelette, des animations, et tout ceci défini par des paramètres qui diffèrent d’un environnement à un autre. Chaque transfert doit ainsi être expressément et exhaustivement préparé, avec les implications qu’on imagine côté légal, technique et organisationnel. Une véritable usine à gaz.
Comme l’énonce Matthew Ball, un monde virtuel fonctionne à l’inverse de la vie réelle : dans la réalité, un objet est par défaut disponible partout, à moins de ne lui imposer des restrictions particulières – aucun problème donc pour porter des chaussures Addidas dans un magasin Nike, tant que le vigile à l’entrée n’y voit pas d’inconvénient. Dans un espace virtuel, au contraire, tout élément est par défaut limité à cet espace seul, à moins de développer des conventions et des accords qui permettent de le transférer ailleurs.
Si on compare ces difficultés à Internet, cela reviendrait à imaginer un monde où seulement quelques dizaines de personnes peuvent regarder la même page web en même temps. Et si quelqu’un voulait poster une image du site A sur un site B, il faudrait que les deux se mettent d’accord et définissent un processus ainsi et des critères particuliers qui permettent de transférer certaines images, aux caractéristiques bien précises, entre A et B (et nulle part ailleurs).
Le Métavers est (aussi) un phénomène
Quoi qu’il en soit, qu’on se définisse comme sceptique ou croyant, force est de constater que le Métavers comme phénomène s’est imposé sans nul doute possible. Quelle que soit la définition exacte du Métavers, quel que soit l’avenir qu’on projette, il représente peut-être surtout une convergence, un aboutissement dans le temps de plusieurs technologies et plusieurs tendances socio-culturelles qui se rejoignent aujourd’hui. De nombreuses industries ont senti le vent se lever et regardent vers un point de fuite à l’horizon, où se rencontrent des secteurs aussi différents que le jeu vidéo, la mode, la blockchain, l’IA, la XR.
D’une certaine manière, le Métavers est une façon commode de nommer un certain Zeitgeist, que nous avions appelé plus généralement “virtualisation” il y a deux ans. Les frontières entre le réel et le virtuel s’estompent, même s’il est difficile de deviner exactement ce qui naîtra de cette fusion.
Sources et ressources
- The Seven Rules of the Metaverse de Tony Parisi
- The Metaverse Primer de Matthew Ball
- Metaverses that aren’t really Metaverses de Dean Takahashi
- Money in the Metaverse de Anna Wiener
- The Metaverse Isn’t a Destination. It’s a Metaphor de Scott Stein
- How to Explain the “Metaverse” to Your Grandparents
- Interdimensionality and Interoperability in the Metaverse
- Real-time round-up: the metaverse and emerging 2022 trends (Epic Games)
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